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Anorexie : « Je ne me souviens pas »

L’épidémie de Covid-19 ne doit pas faire oublier les nombreuses autres maladies qui nécessitent des soins et un suivi régulier. Clarisse fait partie de ces malades qui, en temps normal, souffrent déjà d’un certain abandon de la part du corps médical. Et ce, parce que l’anorexie dont elle souffre semble sans fin pour les médecins…  

ⓒ Facebook- En 2018, Clarisse est hospitalisée dans une clinique spécialisée dans la prise en charge de ses troubles, le cadre permet alors un minimum de lien avec l’extérieur.

Clarisse est une petite jeune femme, blonde, 29 ans, les cheveux courts. Pétillante, voire hyperactive, rien ne s’arrête jamais chez elle : ni son sourcil, ni sa jambe, qui bat la mesure en espérant faire passer le temps plus vite ; mais surtout pas son franc parlé que rien ne semble réussir à museler. Pourtant, c’est une Clarisse fatiguée, abîmée même, par plus de dix années de lutte, qui a accepté de nous confier son témoignage. 

Est-ce que tu peux me raconter un peu quelle enfant tu étais et comment la maladie est arrivée ?

Oula, j’étais déjà comme aujourd’hui. J’ai dit « oui » à 6 ans. Très volontaire. Je voulais tout faire toute seule, je ne demandais jamais d’aide… Après comment la maladie est arrivée, je ne saurais pas te dire. Je ne me souviens pas. C’est en mangeant de moins en moins, en bougeant tout le temps… J’ai voyagé, j’étais jamais posée. Déjà, avant, je ne mangeai pas beaucoup de viande… puis, petit à petit, j’ai enlevé de plus en plus de choses.

 

Comment tes proches ont réagi quand le diagnostic est tombé ? Quelles ont été leurs attitudes au début de la maladie ? Et aujourd’hui ?

(Elle marque une longue pause) Mes parents ne sont pas très expressifs, je ne saurais pas te dire. Au début ils ont essayé. De comprendre, de m’aider. Aujourd’hui c’est différent. On se parle beaucoup moins oui c’est sûr, on s’est éloigné, mais c’est normal. J’ai 29 ans. Ils disent des choses que je ne veux pas entendre, c’est un peu compliqué.

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Tu as été hospitalisé de force avant de décider un jour, par toi-même, d’intégrer une clinique spécialisée. Comment te sentais-tu à ce moment ? Quelle était l’attitude des soignants autour de toi à cette époque ?

Je ne m’en souviens pas mais j’avais pas vraiment le choix. J’étais vraiment en sous-poids, il fallait faire quelque chose. Oui, c’est moi qui ai fait le choix d’entrer à la clinique mais je n’avais pas le choix. Le psychiatre qui m’a suivi à mon entrée ne me voyait que dix minutes par jour, je n’ai pas l’impression qu’il m’ait aidée. Par contre, je pouvais voir les infirmières dans la journée pour parler. J’ai rencontré plein de gens dans cette clinique. J’ai beaucoup discuté. Ça, ça m’a vraiment aidé. Les médecins avaient beaucoup de patientes, ils n’étaient pas très disponibles mais les infirmières prenaient vraiment le temps pour nous. Enfin de ce que je me souviens. Surtout quand on était volontaire. Et je l’étais. 

Cette maladie ne t’as pas totalement empêché de vivre, tu as continué à travailler, tu as vécu dans ton propre appartement entre deux hospitalisations. Tu as rencontré du monde ? Comment ces personnes se sont comportées avec toi ?

Oui ! c’était bien… j’ai rencontré des gens bien sûr. Au début je ne leur disais pas pour la maladie. Mais ça se voyait, certains avaient deviné. Après quand je le disais, certains ne comprenaient pas. Il y en a qui sont partis. D’autres sont encore là, et me soutiennent.

As-tu l’impression que plus le temps passe, moins les gens autour de toi croient en ta guérison ?

Non, sinon je n’accepterais pas d’être là (à l’hôpital). Je n’accepterais pas les soins si les médecins baissaient les bras.

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Es-tu quelqu’un de solitaire ? Quel est ton rapport à la solitude aujourd’hui ?

Dans le fond, j’aime bien être entourée, mais j’ai besoin de mon espace vital. Ca m’a posé problème dans mes relations amoureuses d’ailleurs, parfois mon mec ne comprenait pas. Mais j’ai besoin d’avoir mon indépendance. Aujourd’hui, c’est dur parce que je ne peux vraiment pas sortir. Les soignants ont pas beaucoup de temps et puis, c’est pas comme les amis et la famille. Ils ne me connaissent pas. Bien sûr y’a le téléphone mais ça ne remplace pas. Ca me manque de ne voir personne. Oui, je me sens seule.

Qu’est-ce que tu attend des médecins ?

Qu’on trouve un compromis pour m’amener à un poids qu’on a déterminé, et que je puisse sortir. Je veux leur faire confiance. Mais j’ai peur. Je ne sais pas ce qu’ils font avec la sonde par exemple. Je voudrais qu’ils respectent ce que je veux, il y a des choses que je ne veux pas manger et je ne veux plus être sondée… ça me fait peur.

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Sophie Brunel

Rédactrice environnement

Rédactrice sur majmedia. Bucolique et mélodramatique… Cela fait plus de vingt piges que je vadrouille, le stylo en poche. Journaliste le jour, écrivaine la nuit, on se retrouve vite pour de nouvelles aventures !