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Littérature : Kim Jiyoung, née en 1982

Cho Nam-Joo publie en 2016 son premier roman : Kim Jiyoung, née en 1982.  Il est l’un des rares livres à s’être vendu à plusieurs millions d’exemplaires au pays du matin calme. Pourtant, il faut attendre décembre 2019 pour qu’il soit traduit et imprimé en France. L’histoire ? Le portrait d’une femme sud-coréenne lambda, qui est le miroir de la condition féminine tout court.

Kim Jiyoung est une mère, de 35 ans, qui n’a plus goût à rien. Son mari décide alors qu’elle a besoin de suivre une thérapie. À travers le narrateur, on découvre alors toute l’histoire de cette femme qui se trouve, à 35 ans, sur le sofa d’un psy, sans qu’elle n’est besoin, ou le droit, de dire un mot.

Cho Nam Joo déploie les problématiques clés de la vie d’une femme : sa sexualisation, le mariage, le travail, la naissance d’un enfant. Le livre se compose de six parties marquant chaque épisode de la vie du personnage principal. À travers elle, c’est toutes les femmes sud-coréennes que nous voyons : l’injonction à être une bonne fille, une bonne épouse et une bonne mère. D’ailleurs, il n’y a pas plus commun comme nom en 1982 que Kim Jiyoung.

Le mariage

Une femme célibataire est une femme qui a échoué. En ce qui concerne la mère de Kim Jiyoung, elle s’est mariée parce qu’il le fallait. Quand elle pense à son mari, elle se dit : « Il n’était pas violent, ce n’était pas non plus un coureur de jupons. Pour un mari, croyait-elle sincèrement, ce n’était déjà pas si mal. » Le mariage n’est pas une question d’amour, mais un contrat. Il permet de rentrer dans la norme, de prendre une maison ou un appartement et de fonder une famille. L’homme et la femme ont tous deux un rôle bien défini. Lorsque Kim Jiyoung se fait embêter par son camarade de classe à l’école, on lui dit qu’il est amoureux d’elle : « être méchant, c’est une preuve d’amour. » De même lorsque plus tard, pendant son adolescence Kim Jiyoung se fera suivre par un camarade auquel elle a eu le malheur de sourire une fois, elle devra présenter des excuses à son père. « Pourtant Kim Jiyoung se fit pas mal gronder par son père ce soir-là. Pourquoi aller dans un institut aussi éloigné ? Pourquoi entamer la conversation avec n’importe qui ? Pourquoi une jupe si courte ?… Elle avait grandi de la sorte. Avec ce refrain de tout le temps devoir faire attention, s’habiller correctement, se comporter sagement, éviter les quartiers dangereux, les heures dangereuses. »

« La faute était du côté de celle qui n’avait pas su percevoir le danger ni l’éviter. »

L’obsession d’avoir un fils

Avoir une fille, c’est un drame. Sauf si on a aussi un fils. Du temps de la mère de Kim Jiyoung, elle devait travailler, comme les autres, pour pouvoir payer les études de ses frères aînés : « La somme ridicule qu’elles gagnaient en s’épuisant nuit et jour, le visage jauni par le sommeil qu’elles combattaient à coup de pilules, allait, pour l’essentiel, servir à payer les études du grand ou du petit frère. » Kim Jiyoung est déjà perçue comme chanceuse, parce qu’elle peut continuer ses études. Elle est chanceuse aussi parce que sa mère l’a gardée. En effet, lors de la première grossesse, le sort a voulu que la mère accouche d’une fille. Tous lui on dit que ce n’était pas grave, et qu’elle aurait un fils la prochaine fois. La deuxième grossesse, et Kim Jiyoung vient au monde. Tous lui ont dit qu’elle devrait faire un troisième enfant : un fils. Et la mère de Kim Jiyoung tomba enceinte une troisième fois : « Sa mère est allée toute seule à la clinique et a fait “effacer” la petite soeur de Kim Jiyoung. Ce n’était pas son choix, mais c’était sa responsabilité. Et tandis que sa mère souffrait de tout son corps et de toute son âme, il n’y avait personne dans la famille pour la réconforter. Sa mère hurlait comme un animal dont le petit vient d’être arraché par les griffes d’un prédateur. » La quatrième fois, ce fut un garçon. 

Avoir une fille, c’est un drame. Sauf si on a aussi un fils. Du temps de la mère de Kim Jiyoung, elle devait travailler, comme les autres, pour pouvoir payer les études de ses frères aînés : « La somme ridicule qu’elles gagnaient en s’épuisant nuit et jour, le visage jauni par le sommeil qu’elles combattaient à coup de pilules, allait, pour l’essentiel, servir à payer les études du grand ou du petit frère. » Kim Jiyoung est déjà perçue comme chanceuse, parce qu’elle peut continuer ses études. Elle est chanceuse aussi parce que sa mère l’a gardée. En effet, lors de la première grossesse, le sort a voulu que la mère accouche d’une fille. Tous lui on dit que ce n’était pas grave, et qu’elle aurait un fils la prochaine fois. La deuxième grossesse, et Kim Jiyoung vient au monde. Tous lui ont dit qu’elle devrait faire un troisième enfant : un fils. Et la mère de Kim Jiyoung tomba enceinte une troisième fois : « Sa mère est allée toute seule à la clinique et a fait “effacer” la petite soeur de Kim Jiyoung. Ce n’était pas son choix, mais c’était sa responsabilité. Et tandis que sa mère souffrait de tout son corps et de toute son âme, il n’y avait personne dans la famille pour la réconforter. Sa mère hurlait comme un animal dont le petit vient d’être arraché par les griffes d’un prédateur. » La quatrième fois, ce fut un garçon. 

« De même qu’elles vivaient sans se demander pourquoi le numéro de carte d’identité des garçons débutait par un 1 et celui des filles par un 2. »

Être femme

C’est avec franchise et simplicité que Cho Nam-Joo écrit la vie de Kim Jiyoung. De son enfance où on lui apprend tout ce qu’une femme doit savoir : être polie, aider à la cuisine et au ménage, être discrète. Jusqu’à sa vie de jeune femme où elle va durement comprendre qu’on privilégiera toujours un garçon par rapport à elle dans sa vie professionnelle. Le style est simple, peu de métaphores, pas d’épanchement. Et pourtant, on ressent des émotions fortes avec Kim Jiyoung. On est en colère de voir que sa soeur et elle ne sont pas éduquées de la même façon que leur petit frère. On a peur quand ce garçon la suit dans le bus et s’arrête au même arrêt qu’elle et continue de la suivre. On pleure lorsqu’elle doit quitter son travail pour élever son fils.

C’est assise sur un banc, dans un parc, que Kim Jiyoung reçoit le coup de grâce par les paroles des hommes buvant un café en face : « Moi aussi j’aimerais me balader tranquille et me prendre un bon petit café avec l’argent de mon mari… La vie d’une mère-parasite, c’est la belle vie… Jamais je n’épouserai une Coréenne… »

 

Plus qu’un roman, Cho Nam-Joo ne dresse pas le portrait d’une femme sud-coréenne, mais de la condition féminine dans sa globalité. Entre faire sa place sur le monde du travail, le harcèlement de rue, et l’injonction à procréer, toutes les femmes se retrouvent assises avec Kim Jiyoung sur le sofa de ce psy.

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Rédactrice sur majmedia. Bucolique et mélodramatique… Cela fait plus de vingt piges que je vadrouille, le stylo en poche. Journaliste le jour, écrivaine la nuit, on se retrouve vite pour de nouvelles aventures !