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Moi, gardien de phare

À l’embouchure de l’Estuaire de la Gironde, se dresse le plus vieux phare de France, achevé en 1611 : le phare de Cordouan. En plus de contenir une chapelle royale baroque, ce « Versailles de la mer » est encore habité par des gardiens ! Sous l’égide du Syndicat mixte pour le développement de l’Estuaire de la Gironde (SMIDDEST), ils veillent jour et nuit à l’entretien du monument. Rencontre avec Pierre Cordier, gardien d’un phare et d’une profession millénaire.

© Pierre Cordier – SMIDDEST Présent de mars à octobre, Pierre Cordier fait partie de l’équipe des quatre gardiens se relayant toute l’année.

Quel est le rôle d’un gardien de phare aujourd’hui ?

On a plusieurs fonctions. La première, c’est le gardiennage du bâtiment. Si on n’était pas là, le monument serait sûrement pillé ou des gens s’introduiraient dedans. La deuxième, c’est l’entretien et la maintenance de tout ce qu’il y a à l’intérieur. Cela comprend toutes les petites réparations, notre base-vie, les installations électriques, les groupes électrogènes… La dernière mission, c’est l’accueil touristique. On réalise des visites pour les touristes d’avril à fin octobre.

Le phare fonctionne, il s’allume toujours tous les soirs et sert de repère pour les marins. Tout le système de la lanterne est automatisé et peut être commandé à distance. Nous sommes là pour remettre du carburant, et nettoyer la lentille : cette grande cage de verre autour de l’ampoule. Quand il y a une alarme, on est sur place pour voir s’il y a un problème.

Comment êtes-vous devenu gardien de phare ?

Il y a 5 ans, j’étais guide touristique. Je suis tombé sur une annonce où ils cherchaient un gardien de phare qui avait déjà une expérience dans le tourisme car ils voulaient développer un peu l’accueil l’été. C’était vraiment par hasard que je suis arrivé là et ce qui m’a le plus attiré, c’était le monument, la mer et le fait d’être un peu isolé. Il y a toujours des communications à terre et des gens qui viennent nous voir mais on vit un peu à l’écart, c’est assez plaisant. À l’écart géographiquement, mais dans le temps aussi, car on ne vit pas du tout avec le même rythme que les gens sur le continent avec un travail plus régulier. On s’adapte à la météo, aux horaires des marées ainsi qu’à leurs coefficients. Nous n’avons pas d’emploi du temps rigide. Les semaines avec des petites marées, on ne peut pas vraiment sortir. En cas de grands coefficients, on peut se balader sur le plateau rocheux autour du phare et sur des bancs de sable.

« Je n’ai pas l’impression d’être un marin, je suis un terrien entouré par l’océan. »

Pierre Cordier

Qu’est-ce que cela fait d’être un des derniers représentants d’un métier ?

J’espère que l’on n’est pas les derniers et qu’il y en aura après nous. On a conscience que c’est un truc un peu à part. Pas seulement pour le métier, mais aussi pour l’endroit car ce n’est pas qu’un lieu de travail, c’est aussi notre lieu de vie la moitié du temps. Vivre dans un monument historique au milieu de la mer, c’est particulier. Même si on l’oublie au bout d’un moment, les visiteurs nous le rappellent tous les jours.

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Comment est-ce que vous occupez vos journées ?

C’est très irrégulier, cela dépend des journées. Actuellement, un chantier de restauration a lieu avec beaucoup d’animation. Il y a des ouvriers, des tailleurs de pierres qui vivent avec nous sur le phare. Quand on a des visiteurs, on réalise des visites pendant quatre heures par jour, le temps d’une marée. On fait ensuite du ménage quand ils sont partis. Le reste du temps, c’est de l’entretien. Cette semaine par exemple, on a fait beaucoup de peinture avant la réouverture au public dans trois semaines.

Quel est votre relation avec l’océan ?

Tous les gardiens auront une réponse différente à ça, certains sont d’anciens marins. Moi, j’ai grandi au bord de la mer. Plus tard, je m’en suis détourné. Il m’a fallu du temps pour revenir vers l’océan. J’aime cet environnement différent. Cependant, on doit lui obéir. S’il est un peu déchaîné, on frappe à la relève. Quand la marée monte, on rentre à l’intérieur pour se barricader. Il y a deux semaines, nous sommes restés bloqués une journée à cause du mauvais temps. C’est aussi grâce à lui que l’on est coupé du monde sur un site très particulier. C’est à la fois très beau, mais on obéit à des contraintes.

©Diminis – WikiCommons

Comment vos proches perçoivent votre métier ?

Je n’ai pas d’enfant, donc c’est plus simple pour moi. Les séjours au phare s’accompagnent d’une ou deux semaines de repos. Quand je rentre du travail, j’ai vraiment deux semaines avec ma compagne. On fait la fête, on se retrouve. J’aime bien ce rythme car je connais des couples qui rentrent tard le soir du travail, et qui se voient très peu.

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Vous en pensez quoi de l’image traditionnelle des gardiens de phare ?

Il n’y a plus grand-chose à voir, comme pour beaucoup de métiers aujourd’hui. Nos conditions de vies sont extrêmement plus simples que celles des gardiens d’il y a 50 ans. C’était des roulements beaucoup plus longs que deux semaines. On ressent beaucoup moins l’isolement car nous avons des moyens de communication. En plus, Cordouan est un phare très confortable. Je n’aurais pas souhaité vivre dans certains phares bretons qui sont juste des petites tours au milieu de la mer. Ici, on a un vrai plateau rocheux, un banc de sable qui se découvre à marée basse, un bâtiment très spacieux avec une cour intérieure et des vraies pièces de vie….

©Selvejp – CC BY-SA. Surnommé le « Roi des phares », Cordouan est haut de 68 mètres.

Est-ce que le confinement a bouleversé votre quotidien ?

Le roulement des gardiens a changé. Auparavant, on faisait des séjours d’une ou deux semaines avec des collègues différents. En confinement, je suis resté 15 jours avec le même gardien. On ne côtoyait personne d’autre car le chantier s’est interrompu. Bien sûr, il a fallu respecter des consignes sanitaires mais ça a été deux semaines très calmes pendant lesquelles on a pu profiter de l’extérieur sans recevoir de visiteurs. On pouvait se promener sur l’île, sur les bancs de sable… Je ne m’étais pas baladé depuis bien longtemps.

Si un autre confinement a lieu, est-ce que vous avez des conseils pour faire passer le temps ?

Peut-être juste de découvrir ce qu’il y a autour de soi, son univers. C’est facile pour nous parce qu’on a un très grand jardin ! Pour les gens qui sont isolés en appartement, c’est plus compliqué. Mais pour ceux qui peuvent sortir un peu dans la nature, on peut découvrir son environnement très proche. Il y a des choses extraordinaires juste à côté de chez soi.

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Rédacteur multimédia

Rédactrice sur majmedia. Bucolique et mélodramatique… Cela fait plus de vingt piges que je vadrouille, le stylo en poche. Journaliste le jour, écrivaine la nuit, on se retrouve vite pour de nouvelles aventures !