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TÉMOIGNAGE DE CRS – « On n’est pas là pour faire du mal aux gens, on est là pour leur porter assistance »

« Le gendarme c’est l’ordre, et l’ordre c’est toujours impopulaire ! » déclarait Jacques Anfrie par la voix de Louis de Funès, alias, sergent-chef Cruchot dans Le gendarme de St Tropez. Pas sûr que l’on distingue le gendarme du policier dans les manifestations de ces derniers jours. Accusés de racisme et de violence, l’institution, ses femmes et ses hommes, sont au cœur d’une polémique qui fait couler encre et salive. Pour le meilleur et pour le pire. Entretien avec Clément*, gardien de la paix depuis 5 mois.

© Fresque inspirée par le policier de Banksy-corporateeuropean.org

«Les gradés et gardiens de la paix travaillent au plus près du public en portant aide et assistance aux personnes, en prévenant les actes de délinquance et en poursuivant les malfaiteurs. Leurs missions s’effectuent aussi bien dans des services d’enquête ou de renseignement que dans des unités d’intervention ou de maintien de l’ordre.»

devenirpolicier.fr

La police est constituée d’une multitude d’agents, 172 200 policiers nationaux et municipaux pour être exact. Si bien qu’il serait injuste de tous les réunir sous une même casquette. D’après Clément, les agents sont pleins de bonne volonté mais se découragent au bout de plusieurs années. La haine anti-flic rendrait-elle ledit flic mauvais ? Clément se sent constamment en porte-à-faux, présumé raciste à chaque fois qu’il interpelle une personne non-blanche « qu’est-ce que j’en ai à faire qu’il soit noir, nord-africain ou blanc ? Tout ce que je constate c’est qu’il commet une infraction ». Chaque jour, en Ile-de-France, le 17 reçoit environ 7000 appels, dont 1000 donnent lieu à un déplacement des forces de l’ordre. « Ça veut dire qu’il y a 7000 personnes qui estiment avoir besoin de la police ».

Usure et récidive

Ce 8 juin 2020, après l’annonce de l’interdiction de la « clé d’étranglement », Yves Lefebvre du syndicat Unité SGP Police, répondait à Libération : « […] enseigner d’autres méthodes d’intervention . Nous n’en avons pas les moyens humains. » Une technique enseignée comme dernier recours, selon Clément qui pose la question « vous êtes dans une pièce, vous avez un type en face de vous. Vous devez lui passer les menottes et il ne veut pas se laisser faire. Allez-y débrouillez-vous, on vous regarde faire. » Pour lui, nul besoin de réformer l’institution puisque les méthodes enseignées fonctionnent. « On nous apprend que la sauvegarde de l’intégrité de la personne est toujours supérieure ». Un frein autant qu’un garde fou qui s’accompagne d’une règle de proportionnalité, omniprésente pendant la formation : toute action doit être proportionnelle à la menace et légitime.

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Cadre légal d’usage des armes des policier et gendarme nationaux – © profession-gendarme.com

« Le gros problème c’est la délinquance. Ça énerve tout le monde mais c’est pas suffisamment grave pour justifier une sanction. » Le jeune CRS pointe du doigt une récurrence qui use les policiers. La dernière étude sur la récidive date de 2013. Le ministère de la justice affirmait alors que c’est dans la délinquance qu’on retrouvait le plus de cas de multi-récidive. Ce que confirme Clément « avec des gens qui ont un casier judiciaire énorme, avec vol de voiture, coups et blessures etc. et à qui on donne des 36e, 37e chance. C’est là qu’il y a un gros malaise, qui peut pousser des hommes à avoir la haine, parce que tu revois encore le même enfoiré, tu sais qu’il a attouché une gamine de 14 ans, brûlé une voiture, et tu le vois, devant toi, qui fait des rodéos sans casque et un doigt d’honneur. Et tu ne peux pas aller l’interpeller. Pourquoi ? Si tu commences à lui courir après et qu’il se casse la gueule sur son scooter, on va se retourner contre toi pour mise en danger de la vie d’autrui. »

Le syndrome du sauveur

Il raconte que lors d’une manifestation sur Lyon la semaine dernière, la police a essuyé les « habituelles » insultes, provocations et jets de pierres. Repérant les lanceurs « bien planqués » une vingtaine de mètres derrière les manifestants, il avise une pierre « je me dis ah, celle-là, elle est trop courte. Elle est allée taper dans la tête d’une manifestante qui était 2m devant moi. Elle se la prend à l’arrière du crâne, elle tombe, la personne qui l’accompagne passe sa main derrière sa tête, on voit qu’il y a plein de sang. Les manifestants la regardent tomber, et y’en a un, un peu plus courageux que les autres qui crient « c’est la faute des CRS ». » D’après lui, les manifestants savent que la pierre vient de leurs rangs mais ça ne va pas dans leur sens, donc ils occultent « on a ouvert les boucliers, on les a fait sortir, on a appelé les pompiers, on l’a prise en charge. On n’est pas là pour faire du mal aux gens, on est là pour leur porter assistance ». Une phrase d’ambulancier plus que de policier, mais il dit préférer prévenir plutôt que guérir. Réparer les dégâts ne lui suffit pas.

« Il y a un trop grand fossé entre la réalité de notre quotidien et l’image que les gens ont de la police »

Équiper les policiers de caméras peut être une solution pour remédier à la relativité de la réalité. Mais, comme l’expliquait, en 1997, Nona Mayer1, sociologue, dans la revue française de sciences politiques, il y a « un pont », entre les individus et les collectifs. Pour les CRS comme pour les manifestants. Aussi, si chacun a sa propre opinion, le collectif l’emporte. Ce qui explique des comportements illogiques ou injustes. Le problème dans les manifestations « ce n’est pas qu’on n’a pas la même vision des choses, c’est qu’on ne voit pas les mêmes choses » souligne Clément.

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Et l’homme sous l’uniforme ?

« De toute façon, si tu fais pas ton taff, personne ne le fera à ta place, du coup c’est ce qui te fait tenir ». Prévenir des vols, viols et violences, recueillir les plaintes: « on voit la police comme un moyen de répression, mais parfois être policier c’est juste avoir le bon mot au bon moment pour rassurer une personne ». Un engagement qui s’applique même dans un simple contrôle routier. « Il y a un échange avec la personne, elle repart elle a le sourire. Là, tu sais que t’as réussi. Tu sais que t’es un bon flic. ». Être policier est une « très grande fierté » et c’est un « réel plaisir de pouvoir apporter des solutions aux gens ». La situation actuelle crée néanmoins un profond sentiment d’incompréhension, qui s’ajoute à celui d’impuissance auxquels font face les policiers consciencieux depuis de nombreuses années. Par chance, Clément n’est pas que policier, et lorsqu’il n’est pas en train de philosopher sur son métier, ce cinéphile apprécie la montagne, et les jeux de société.

*Le prénom a été changé
Mayer Nonna1 , Favre Pierre, Fillieule Olivier.
La fin d’une étrange lacune de la sociologie des mobilisations.
L’étude par sondage des manifestants : fondements théoriques et solutions techniques.
In: Revue française de science politique, 47ᵉ année, n°1, 1997. pp. 3-28.

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Rédactrice environnement

Rédactrice sur majmedia. Bucolique et mélodramatique… Cela fait plus de vingt piges que je vadrouille, le stylo en poche. Journaliste le jour, écrivaine la nuit, on se retrouve vite pour de nouvelles aventures !